Une roseraie. Une ROSERAIE !

Quand Cat s'imaginait mettre le grappin sur sa première victime, elle se voyait sur une plage de sable fin, dans un bikini deux pièces, en train de siroter un Calamity Jane tout en lorgnant un playboy milliardiaire jusqu'à ce qu'il l'accoste.

A la place de ce joli tableau qu'elle se peignait mentalement depuis des années, elle se retrouvait dans une roseraie envahie de soleil, entourée du club du troisième âge qui photographiait des fleurs. Les pépés et les mémés se retournaient sur son passage, certains faisant des commentaires exaspérants du style : "Oh, voilà une gentille jeune fille qui apprécie les jolies choses !" mais les vieux pervers louchaient surtout sur son décolleté et son mini-short en jean. Franchement, ça prouvait qu'un rien pouvait les exciter, car malgré tous ses efforts, Cat n'avait pas réussi à "gonfler" sa poitrine trop plate à son goût. Elle avait même été contrainte de mettre des mouchoirs dans son soutien-gorge pour se faire un décolleté plus "garni", car sa soeur lui avait dit qu'un homme regardait à cet endroit en premier. Aha, sans rire... Dans ce cas-là, Cat était plutôt mal barrée. Elle avait fait de son mieux en choisissant un haut rayé rouge et blanc (Où est Charlie version sexy) dépourvu de bretelles et avec trois petits boutons sur le devant. Elle ne voulait pas non plus faire garce.

Elle avait parfait le tout avec un maquillage discret, un chignon lâche duquel s'échappait des mèches rebelles, et des ballerines. Armée d'un dépliant qu'elle avait pris à l'entrée du parc, elle se promenait dans la roseraie, l'air de rien. Extérieurement, elle avait tout de la jeune ingénue qui s'était perdue au pays des fleurs. Intérieurement, elle était à l'affût de sa proie.

Il n'allait pas être difficile à repérer : il était le seul à avoir moins de 80 ans dans cet endroit. Même les employés, les jardiniers, étaient proches de la retraite ! C'était dingue ! Pourtant, Cat passa un moment interminable à arpenter la roseraie, perdant presque patience. Elle était de plus en plus certaine que sa soeur lui avait tendu un piège.

"Il est gay ce type, c'est obligé !" lui avait-elle dit quand elles s'étaient renseignées sur leurs proies. "Aucun hétéro ne peut aimer les fleurs à ce point ! Je suis sûre que tu me le fais choisir juste pour que je me prenne un rateau !"

Depuis, elle n'avait pas démordu de cette idée. Elle avait hâte d'en finir. De toutes façons, elle avait un plan : elle comptait très vite prouver sa théorie à sa soeur mais avant cela, elle voulait se trouver un milliardaire digne de ce nom et se faire épouser par lui. Comme ça, Angela serait bien étonnée quand elle verrait que son piège a foiré ! Ce n'était pas un jeu, c'était un duel. Les deux soeurs étaient en compétition. C'était à qui se ferait passer la bague au doigt en premier. A bien y réfléchir, c'était stupide, surtout qu'elles partageaient toujours le pactole après chaque divorce, mais à présent que Cat entrait dans la danse, elle tenait à montrer de quoi elle était capable. Elle se le devait à elle-même. Il fallait qu'elle se montre digne de sa soeur.

Elle finit par trouver son pigeon. Il était caché par un buisson et se trouvait juste à côté d'un plan de jacinthes et de tulipes rouges. Visiblement, il était très absorbé dans la contemplation de ces stupides fleurs, ce qui renforça la théorie de Cat : Gay à 200%. En se rapprochant, la coupe de cheveux de l'homme le lui confirma, car personne n'avait une coiffure pareille ; même les homos en auraient ri. Ca ne ressemblait à rien et ça partait dans tous les sens. Bon, à part ça, il n'était pas désagréable à regarder, mais cette qualité était annulée par sa fascination pour le gel et pour les plantes.

Malgré tout, Cat s'épingla un grand sourire avenant sur le visage tandis qu'elle lui tapotait l'épaule pour le faire se retourner. Il était vraiment grand. O_o Ou alors c'était elle qui était minuscule.

"Excusez-moi... vous sauriez me dire où je suis, exactement ? Parce que je me suis perdue... J'étais tellement fascinée par toutes ces fleurs que je n'ai pas vu où j'allais... Et c'est vraiment mal indiqué, je trouve."

Elle accentua son sourire, le rendant un peu timide, puis évita délibérément son regard. Avant tout ce beau mensonge, elle s'était évidemment débarassée de son dépliant auquel était inclus un plan de la roseraie : elle l'avait jeté dans un buisson sous l'oeil scandalisé d'une mamie qui avait pensé : "Oh, quelle toupet ! Abîmer un aussi joli ficus !" mais Cat avait haussé les épaules. Ce n'était qu'un arbre, fallait pas appeler la police non plus !

A présent, elle jetait des regards en coin à son pigeon, cherchant dans sa mémoire comment il s'appelait. Arf, c'était problématique... Mais ce n'était pas trop grave, il allait bien finir par lui dire, de toutes façons.

"Je suis vraiment désolée, je vois que je vous dérange." dit-elle brusquement en affichant une mine navrée. "Je vais demander mon chemin à quelqu'un d'autre. C'est vrai, vous devez vous dire : elle est vraiment idiote cette fille pour se perdre dans un endroit pareil !"

Elle pivota sur ses talons, prête à partir. Elle savait exactement ce qu'il pensait, et c'était vraiment insipide. Elle savait aussi ce qu'il allait faire, c'était obligé, elle ne lui avait pas laissé le choix : s'il était gentleman, il allait lui venir en aide.

Et à partir de là, il serait son prisonnier.

Qui criait comme ça ? Y avait-il une sortie prévue à la roseraie pour les échappés d'asile ? Cat sursauta et se retourna, prête à dégainer sa bombe lacrymo dans son sac à mains. Elle se retrouva nez à nez avec un type proche de la trentaine, avec une coiffure encore plus barrée que celle du type dénommé "Henry-le-Sourd". Etait-ce la nouvelle mode de se coiffer comme un dessous de bras ? Cat se pencha sérieusement sur la question tandis qu'elle observait les deux hommes échanger -crier- quelques mots. Puis, le dernier venu se tourna vers elle. Même quand il avait l'air aimable, il ne pouvait empêcher ses épais sourcils de s'arquer. Cat songea qu'il avait l'allure d'un chien quémandant un sucre.

Ah voilà, Brandon Baya ! ça lui revenait, maintenant ! Elle se demandait comment elle avait pu oublier un nom pareil. Il se mit à sourire. Un sourire vraiment niais qui lui donna envie de se moquer. Elle était vraiment trop méchante ! Elle se mordit les lèvres pour se maîtriser puis se composa une expression à la fois posée et amusée. Elle s'était entraînée devant le miroir pour exprimer à son visage tout ce qu'elle voulait. En quelques semaines, elle était devenue une véritable experte pour se composer toute une palette d'émotions qui la rendaient à chaque fois ravissante. Même quand elle se mettait à pleurer, elle faisait en sorte que ça soit attendrissant et sexy. Elle méritait un trophée pour ça : c'était de l'art !

Pourtant, elle eut vraiment du mal à garder son sourire et son attitude impliquée tandis que Brandon se mettait à lui décrire en long, en large et en travers les diverses espèces d'animaux que contenait le parc. Jouant à l'oie stupide, elle laissa échapper dans une petite exclamation ingénue :

"Vraiment ? Il y a tous ces animaux ici ? Je pensais qu'on pouvait juste y trouver des fleurs, mais maintenant je comprends d'où vient l'odeur ! Je pensais que ça venait de l'engrais que l'on met pour faire pousser les plantes !"

Elle avait envie de se coller des baffes tant elle faisait quiche, mais sa soeur lui avait assuré que jouer la carte de la dinde écervelée était un ticket gagnant vers le mariage. Cat n'était pas convaincue. Elle se sentait juste complètement stupide. Elle espérait au moins qu'elle ne faisait pas tout ça pour rien.

Non mais qu'est-ce qu'il faisait, là ? Il la reniflait ? Maintenant, elle en était sûre : ce type était cinglé. Et c'était LUI qu'elle devait séduire ? Mais pourquoi fallait-il qu'elle tombe toujours sur des cas désespérés ? Elle préféra rester muette ; de toutes façons, Baya parlait pour deux. Puis, comme si tout depuis le début n'avait pas été suffisamment étrange, il se pencha subitement, cueillit une pâquerette et la coinça dans les cheveux de la jeune fille.

Cat resta stoïque pendant toute la scène, figée par la stupeur. Elle n'aurait pas été différente si la foudre venait juste de la frapper. Oh non, voilà qu'il lui tendait le bras et qu'il lui demandait si elle voulait aller dans la savane. O_o Non mais il délirait, là ? Il ne voyait pas qu'elle portait des ballerines, elle n'était pas équipée pour partir en safari ! Finalement, au lieu de foncer tête la première à la chasse au milliardaire, elle aurait quand même dû poser deux ou trois questions à sa soeur avant... Du genre : quand devait-elle lâcher l'affaire ? Comment savoir si c'était perdu d'avance ? Curieusement, Cat avait l'amère impression qu'elle connaissait déjà la réponse...

Tout en prenant la main de Baya, elle déclara, mutine :

"J'accepte. Mais j'espère qu'il y aura des koalas ! Je n'aime que les koalas. Tous les autres animaux sont stupides. Les koalas ont compris le sens de la vie : ils mangent, ils se reproduisent et ils dorment. Ils ne font que ça de leur journée et ils sont très heureux. On devrait tous adopter cette philosophie. En plus, comme ils se nourrissent avec des feuilles d'eucalyptus, ils ont des dents très saines."

Le pire, c'est qu'elle disait tout cela avec conviction. En son for intérieur, elle l'avait toujours pensé. C'était assez plaisant de pouvoir se laisser aller à raconter des âneries et de captiver quelqu'un avec !