On m'avait pourtant dit que New York était une grande ville, mais genre vraiment grande. Mais c'était seulement maintenant que j'y étais que je comprenais à quel point. Je crois que ma ville natale entière entrerais dans un seul pâté de maison ici, c'est dire.

Je venais de descendre du train à la gare centrale, rien que la gare était gigantesque d'ailleurs, rien à voir avec le bâtiment et les deux voies de chez moi. Je n'avais rien vu de l'arrivée, je dormais, je ne m'étais réveillée que quand j'avais senti le train s'arrêter, du coup, le choc en sortant de la gare ne fut qu'amplifié. Pourtant, je ne venais pas d'un petit village, c'était une ville de quelques milliers d'habitant, assez grand pour avoir des écoles supérieures, des centres commerciaux et j'en passe, assez grand pour qu'on ne connaisse à peine ses voisins. Je ne m'étais jamais considérée comme une fille de la campagne, mais ici, je me sentais minuscule, avec mes yeux rond et mon sac de randonnée sur le dos.

Bon, premier réflexe en lieu inconnu, trouver de quoi me nourrir. Ce qui tombait bien, il était presque midi et je n'avais pas pris de petit déjeuner, je commençais donc à parcourir quelques rues, le grand avantage quand on ne sait pas où aller, c'était que la crainte de se perdre était inexistante, peu importait ou je me retrouverais, je voulais juste trouver de quoi manger, un cybercafé pour rassurer mes parents et un lieux où me poser. On disait que New York regorgeais d'immeubles abandonnés où les gens de passage pouvaient facilement squatter, depuis mon départ chez moi de toute façon, je m'étais toujours débrouillée pour éviter de devoir payer l’hôtel. De toute façon, je n'avais pas besoin de beaucoup de confort pour être à mon aise.

Finalement, je trouvais un cybercafé qui proposais aussi une formule repas, rien de bien mirobolant, ce n'était jamais que des sandwichs, mais il ne m'en fallait pas plus. Je m'installais donc et donnais quelques nouvelles à mes parents. Une heure plus tard et un sandwich poulet-curry dans l'estomac, je m'en retournais dans les rues de la ville. Il n'était pas terrible ce sandwich, le pain devait être de la veille et le poulet n'avait jamais du voir le jour, pauvre bête, il était bien sec. Mais au moins j'avais manger et je passais dans un Starbuck m'acheter un café et un cookie en dessert tout en cherchant un plan du réseau de métro de la ville. Je passais devant un bâtiment dont l'entrée était indiquée par un charmant « Affaires mutante » donc je choisis d'ignorer l’existence et de passer à côté sans même accorder un autre regard. Le nom ne me disait rien qui vaille, c'était peut-être là, la centralisation de ce projet de ficher chaque mutant. Autrement dit, le dernier endroit ou j'irais mettre les pieds.

Fort heureusement, j'étais déjà loin du bâtiment en question quand la pluie se mit à tomber, réflexe, je me protégeais, ce n'était pas une forte pluie mais sans avoir la possibilité d'un lieux où me poser et me changer, je préférais rester au sec, c'était d'ailleurs dommage, j'adorais le contact avec l'eau. Les conséquences ne tardèrent pas à arriver, bon nombres de gens m'évitèrent en me fusillant du regard, sans compter des insultes très raffinés et inventives.

-Sale mutante !

-Observateur. Répliquais-je, ponctué d'un sourire aimable.

Je ne m'en formalisais pas, en même temps, je ne pouvais pas blâmer ces gens. Nous, ce qu'ils appelaient les mutants, étions, à ce qu'on disait, le prochain stade de l'évolution humaine. Nul doute que les hommes de néandertal avaient dû taper sur les premiers homo-sapiens sur la tête à coup de gourdin parce qu'ils étaient différent. C'était dans la nature humaine de craindre ce qui était différent et la crainte se manifeste bien trop souvent par la violence. C'est pour ça que je répliquais par le sourire, de toute façon, objectivement, une fille qui se promène avec la pluie qui l'évite, ça devrait plus prêter à la surprise qu'à la peur. Enfin, je croisais quelqu'un qui ne fit pas un grand détour en me voyant, chouette, ça faisait plaisir, aussi, je le saluais. Je sais qu'il n'est pas d'usage de saluer des inconnus dans les grandes villes, mais cette personne avait la politesse de ne pas me traiter en pestiférée, il était normal de lui rendre la politesse.

La personne en question, qui me salua en retour, était un homme que je pensais sur le coup être un vieil homme. La confusion venait du fait qu'il était appuyé sur sa cane et semblait avoir des difficultés à marcher, même si, de visage, il ne semblait pas si vieux que ça, il avait quoi, la cinquantaine, maximum, l'age que devaient avoir mes parents quoi. Il y avait cependant quelque chose d'un peu inquiétant chez lui, une sorte d'aura de menace, mais j'avais pour habitude de ne pas juger les gens sur une première impression et puis il me demandait juste un peu d'abris contre la pluie, c'est vrai qu'il prenait bien l'eau.

-Oh, bien sur ! Dis-je, souriante.

Je m'approchais de lui et étendit mon influence sur l'eau jusqu'à au-dessus de lui. Attention, je n'annihilais pas l'eau, je me contentais de la dévier, comme un parapluie immatériel dont la taille dépendait de ma volonté. Bien entendu, qu'une personne m'adresse la parole et que j'utilise mes capacités pour l'aider n'était pas au goût de ceux qui nous observaient. Ils n'avaient pas beaucoup d'imagination dans leurs injures. Je soupirais, j'avais connu des gens qui au moins me faisaient rire, c'était d'ailleurs d'une tentative d'insulte que j'avais tiré mon titre de « bidouilleuse de flotte ». Quoi de mieux pour moucher ceux qui vous insulte que d'utiliser cette insulte comme présentation fière par la suite ?

Ils ne se rendaient pas compte que nombreux d'entre nous avaient justement dû quitter leur chez-eux à cause de gens dans leur genre. Je serais encore chez moi, sans doute dans le salon à papoter avec ma mère en prenant un bon thé à l'heure qu'il est, si je n'avais pas choisi de partir pour ne pas leurs attirer d'ennuis. Mais je ne pouvais vraiment pas leurs en vouloir, ce n'était pas dans ma nature de m'en prendre aux autres parce qu'ils ne partagent pas mon avis, c'était contraire à mes principes. L'homme qui m'accompagnais me demanda si je ne pouvais pas amplifier la pluie sur eux. Oh, je l'aurais pu, je ne contrôlais pas la météo mais je pouvais bien concentrer la pluie sur ces gens en particulier. J'eus un petit sourire espiègle.

-Je le pourrais, c'est vrai, mais mon style, ce serait plutôt ça...

Joignant les gestes à la parole, je levais les mains devant moi et fermais les yeux et laissa tomber ma protection contre la pluie, le contact se fit sur l'eau qui tomba sur ma peau et j'en concentrais une partie en une sphère parfaite. La suite me demanda bien plus de concentration, mais à la base, j'étais une artiste après tout. Je modulais la sphère en un superbe dragon d'eau qui se dressa devant le groupe de curieux... qui leurs cracha de l'eau à la figure façon lama, après quoi, mon dragon se dissolvait avec le reste de la pluie, je rabaissais les mains, satisfaite du silence qui s'était installé et les yeux ronds des spectateurs, je saluais mon public. Bon, c'était marrant tout ça et je n'étais pas peu fière de mon joli dragon. L'homme me proposa de l'accompagner et de prendre un thé, quelle bonne idée ! Je rétablis mon influence pour me protéger de l'eau ainsi que lui.

-Pourquoi pas, j'ai bien envie d'un thé aussi.

Je venais de boire un café mais je ne disais jamais non à un bon thé. De toute façon, je n'avais rien de mieux à faire et j'étais curieuse sur cet homme, il avait beau se présenter comme un simple mutant infirme, il y avait autre chose, il n'était pas seulement ce qu'il montrait. Je secouais la tête pour libérer mon visage des mèches mouillés qui s'y collaient.

-A vous de me dire où aller, je ne connais pas du tout la ville.

Nous nous dirigions à présent vers un salon de thé. Enfin on s'en approchait tant bien que mal étant donné qu'il faut bien dire les choses telles qu'elles sont, celui qui m'accompagnait était réellement lent. Sa cane ne devait pas être là que pour faire jolie et j'avais tendance à avoir l'impression de faire du sur place, d'autant que c'est moi qui m'occupais de nous abriter. Lui aussi venait d'arriver et ne connaissait pas beaucoup mieux que moi cette ville. On allait découvrir du coup si ce salon de thé valait quelque chose, en digne britannique, je le savais quand ce n'était pas du bon thé qu'on me servait. Ceci dit, il avait raison, nous n'étions pas très discret et les gens avaient tendance à nous éviter. Personnellement, je m'en fichais, on pouvait me regarder de travers, m'insulter, tenter de me molester, ça me coulait dessus comme l'eau sur une toile cirée.

Ici ou ailleurs, beaucoup de gens n'aimaient pas notre existence et encore moins qu'on ait le culot de montrer qu'on était fier de ce qu'on est. C'était même juste pour le plaisir de casser les pieds des gens que je rappelais que j'étais mutante à tout bout de champ. Mais bon, lui préférait rester discret, libre à moi de me faire remarquer mais il n'était pas question de lui poser problème. J'aurais bien assez d'occasion de me montrer au grand jour comme ça.

-C'est vrai. Enfin si vous préférez être discret, je continuerais à faire l'andouille quand je serais seule. Dis-je avec un sourire.

Je libérais la pluie de mon influence et elle recommença à nous tomber dessus, je l'accueillis avec plaisir, elle était froide et sûrement d'une propreté douteuse, filtré par la masse de pollution urbaine, mais ça restait de l'eau. Je devais faire partie des rares personnes qui aimaient la pluie, je n'avais jamais compris cet engouement populaire pour le soleil. C'est chaud, ça pique, ça empêche de voir et ça fait éternuer. Je préférais de loin cette douce lumière ambiante et la fraîcheur d'une belle ondée. C'était triste que mes parents aient déménagé aux États-Unis avant ma naissance, le climat britannique me convenait à merveille.

Nous étions à présent à l'entrée du salon de thé, à l’abri sous le porche. J'essorais manuellement mes cheveux et m'ébrouais, mes vêtements étaient trempés, j'aurais pu les sécher en quelques instants mais le plan était de rester discret. A l’intérieur, personne ne prêta attention à nous, signe qu'ils n'avaient pas remarquer que la pluie nous évitais quelques instants avant. L'homme qui m'accompagnait et dont j'ignorais le nom me demanda soudain d’où je venais, je tournais un regard un peu surpris, cette question venait sans emphase. Il dû voir ma surprise vu qu'il expliqua que je ne semblais pas en fuite ni vouloir me cacher. C'est vrai que ce n'était pas mon intention, et pourtant, j'étais bel et bien en fuite. C'est bien en fuite qu'on est quand on quitte son chez-soit pour éviter d'attirer des problèmes là-bas.

-Oh, y'a pas de mal, c'est sûr que je ne fais pas vraiment comme je le devrais. Pourtant je suis tout de même relativement en fuite. Pas pour moi mais pour les autres, côtoyer une mutante n'est pas pour se donner une bonne réputation. Mais ce n'est pas parce que je suis partie de chez moi que j'ai honte d'être qui je suis. Je me dis que les « gens normaux » serons bien forcé de nous accepter à la longue si on montre clairement qu'on ne considère pas notre particularité comme une tare, que c'est normal aussi, qu'on a juste avancer un peu plus vite dans l'évolution. Je sais que ce n'est pas mon attitude à elle seule qui fera la différence, mais autant faire ce que je peux à mon niveau.

J'entrais dans le salon de thé, la tête haute, pour illustrer mes propos. Une table était libre et je m'y installais, attendant que l'homme me rejoigne. Je jetais juste un œil à la carte pour vérifier qu'ils avaient bien du Earl Grey, le contraire aurait été une hérésie mais je m'attendais à tout. Après tout, j'avais bien déjà vu des bar qui se prétendait irlandais et qui ne servaient même pas de Guiness.