Malgré les quelques mois que j'avais passé loin de cet endroit où j'étais restée plusieurs années, les recoins du manoir me revinrent finalement à l'esprit, et je ne passai que peu de temps à errer dans les corridors sans fin, perdue mais pas pour longtemps. À présent, je marchais tranquillement au niveau inférieur de l'Institut, ressassant les événements précédents tout en cherchant une explication logique à tout cela. J'étais vraiment inquiète de savoir que je pouvais être en proie à des changements, alors que pourtant, j'avais pris la décision de me débarrasser de toute anomalie. Comment se faisait-il que je ressente les même sensation que lorsque j'avais encore mes pouvoirs alors que ce vaccin était soi-disant permanent ? Dés mon arrivée, Hank avait lui aussi remarqué quelque chose d'anormal puisque j'avais absorbé une infime partie de sa mutation, et qu'il avait ressenti un centième du choc que je provoque habituellement au toucher. Alors nous avions prévu de nous revoir dans son laboratoire pour pouvoir analyser ce phénomène de plus près et comprendre les rouages de mon organisme, aussi compliqué soit-il.

Les niveaux inférieurs n'étaient pas aussi vivants que les parties où résidaient les autres élèves, et l'aspect métallique et monochrome des parois ne me rassurait pas vraiment, bien que je ne sois pas dans un lieu hostile. Je n'avais jamais été adepte de tout ce qui touchait au domaine médical : examens, visites de routine, etc. Mais dans un lieu pareil, c'était beaucoup moins intrusif et effrayant que dans d'autres conditions, dans un hôpital pour humains par exemple. Au détour d'un couloir, j'aperçus de la lumière et une porte circulaire entrouverte à travers laquelle on pouvait voir un colosse à la fourrure bleue accroché au plafond, la tête en bas, comme une chauve-souris. Instantanément, je me trouvai rassurée et un petit sourire s'immisça sur mes lèvres. Tout en replaçant une mèche de cheveux argentée derrière mon oreille, j'entrai dans la pièce en tapant discrètement sur l'embrasure de la porte. « Hank, tu voulais me voir ? » Je croisai les bras timidement autour de moi, m'agrippant aux rebords des gants d'opéra que je portais, ils m'arrivaient jusqu'au coude et étaient en cuir blanc. Même si j'avais pu passer du temps en étant libre de m'habiller comme bon me semblait, j'avais repris l'habitude de mettre mes vieux vêtements, ceux qui cachaient au mieux toute parcelle de peau nue, surtout depuis que j'avais un doute sur le retour de mes pouvoirs. Un simple t-shirt aérien et un jean suffisaient à me protéger, ou devrais-je dire : protéger les autres.

Je fis quelques pas en avant pour me rapprocher de lui, souriante, la tête légèrement inclinée sur le côté en regardant vers le haut, là d'où ce génie bleuté me regardait derrière ses lunettes de vue. « Il faudra vraiment que tu m'apprennes à faire ça. Tu dois voir les choses sous un meilleur angle ! » Tentative bien maladroite de faire croire que je n'étais pas stressée, non pas par sa présence - au contraire, il était mon oxygène, mon ours en peluche les jours d'orage et de pluie - mais bien par les examens, et surtout ce que nous révèlerait les résultats.

Le son de sa voix se déversait sur moi comme un doux voile de miel, une rivière de bien-être. Le stress était toujours présent, mais de façon moins persistante. À la suite de son invitation, j'avançai vers lui, il déposa un baiser sur mon front, et un sentiment de chaleur se diffusa dans les tréfonds de mon organisme. Même si, pendant une fraction de seconde, j'avais eu peur de le blesser, il ne semblait pas avoir reçu un choc, et, en regardant mes mains, je remarquai que rien de particulier n'était arrivé. Lorsque Hank m'expliqua que ses pieds préhensiles étaient la raison de son agilité pratiquement simienne, je laissai échapper un petit rire, sincère. Même si au premier abord, ce genre de capacité était sans doute remarquable, et cela allait à merveille à Hank, je ne pensais cependant pas le porter avec autant d'élégance.

« Ne t'inquiète pas, je ne vais te faire qu'une simple prise de sang pour cette fois, j'ai besoin d'un échantillon de vaccin qui s'est adapté à l'organisme pour le comparer avec la souche. Installe-toi sur la table, le temps que j'arrive. Ce ne sera pas long et pas douloureux, je te le promets. »
« D'accord. » Je fis une pause, puis, alors que j'étais sur ma lancée pour aller m'installer sur la table d'auscultation, je me retournai vers lui, l'air un peu plus inquiet. « Mets des gants, Hank. Jusque là, rien ne nous est arrivé, mais on ne sait pas ce qu'engendrerait un contact prolongé sur ma peau. Reste prudent... Ça me rassurerait. »

J'étais terrifiée à l'idée de le blesser, pire encore, que mes pouvoirs reviennent d'un coup, et que l'irréparable se produise. Il était tout pour moi, et l'idée même de lui faire du mal me rendait malade. En prenant appui sur un petit tabouret, je vins m'asseoir sur la table située sous le Scialytique, cette lampe immense qui émet une lumière sans ombres, semblable à celle des blocs opératoires. Encore un peu nerveuse, j'observais de loin les préparatoires à l'examen en question, mais s'il disait que ce n'était pas grand chose, c'était certainement vrai. Je lui faisais confiance, je lui confierais ma vie. Alors je pris une longue inspiration, et j'ôtai mes gants un à un, le cuir laissant place à ma peau, diaphane et immaculée. Lorsque je les enlevais, j'avais l'impression d'être vulnérable, mais également d'être une menace ambulante. À l'aide d'un élastique, j'attachai mes cheveux en une queue de cheval désordonnée d'où s'échappaient les mèches argentées de ma crinière. À vrai dire, je n'étais pas particulièrement à l'aise à l'idée de me faire piquer, mais c'était un moindre mal comparé aux risques que je courais peut-être. Ma respiration était lente mais douloureuse, une douleur fugace qui se propagea rapidement dans toute mon ossature, et qui disparut aussi vite qu'elle n'était arrivée. Je clignai des yeux rapidement, aperçus des reflets bleutés sur les pointes de mes cheveux puis plus rien. Est-ce que j'avais rêvé ? C'était bien trop rapide, bien trop fulgurant et succinct pour être sûre de quoi que ce soit. Ce devait être la lumière qui faisait ça. Imperceptiblement, je secouai la tête et fermai les yeux une seconde. En les rouvrant, je posai mon regard sur le colosse à fourrure bleue en haussant un sourcil. « Ils avaient dit que le vaccin était permanent. Et jusqu'ici, je n'ai pas entendu parlé de gens qui auraient retrouvé leurs pouvoirs, eux-aussi. »

La petite imitation allemande qu'il avait faite m'avait faite sourire, même rire l'espace d'un instant, détendant ainsi l'atmosphère un peu plus. Avec délicatesse, il prit mon bras afin d'y plonger l'aiguille au creux de mon coude sans que la piqûre ne soit trop douloureuse, et avec quelques coups d'oeil rapides, je voyais mon sang se loger dans trois fioles distinctement étiquetées. De voir qu'il s'était protégé avec des gants, et que la prise de sang s'était terminée sans trop s'attarder, je soupirai doucement pour signifier mon soulagement. Le plus dur était passé. Alors je commençai à me relever, replaçant la crinière de cheveux que j'avais et mes mèches derrière mes oreilles, il m'arrêta cependant avec le même sourire bienveillant.

« Voilà, c'est fini, c'était pas si terrible n'est-ce pas ? Avant que tu ne descendes de la table, j’aimerais t’ausculter rapidement, juste la tension et une petite écoute de l'ensemble cœur/poumons. »

J'acquiesçai silencieusement en hochant la tête, avec un petit sourire. Cela aurait été trop beau, tout examen médical, même par ce nounours en guimauve bleu, devait être suivi dans les règles de l'art. Tout en plaçant l'appareil nécessaire autour de mon bras, qui appuyait de plus en plus en émettant ce petit souffle régulier alors que Hank pressait sur la poire, il demanda ensuite à écouter ce qui se passait dans ma cage thoracique, ce à quoi je répondis un oui à peine gêné, un petit oui mais un oui quand même. Alors qu'il jugeait ma pression normale, et ôta le sphygmo-machin-chose, je croisai les bras pour enlever mon t-shirt et me retrouvai donc en soutien-gorge. Je haussai les sourcils en me pinçant les lèvres. J'avais rarement été dans cet appareil devant qui que ce soit, sauf peut-être à la plage en Nouvelle-Orléans, il y a quelques mois. Mais s'il y avait bien une personne devant laquelle je ne craignais pas d'être ainsi peu vêtue, c'était bien devant Henry. Il s'approcha à nouveau de moi, avec ce sourire avenant, et posa l'embout du stéthoscope, métallique et glacial, sur ma peau alors que j'inspirais et expirais lentement et profondément, par la bouche, sur les ordres de mon docteur préféré. De le voir avec ce machin collé dans les oreilles, sérieux et captivé par ce qu'il entendait, et toujours un peu nerveuse de la situation, je ne pus réfréner un rire, nerveux, et très vite contenu. Encore tiraillée par l'envie de rire, il leva les yeux sur moi, l'air faussement irrité.

« Désolée. Je comprends juste pourquoi tu ne te balades pas tout le temps avec un stéthoscope autour du cou. »

Si ça avait été le cas, jamais plus je n'aurais pu le croiser dans les couloirs sans avoir envie de lui ficher ce truc dans les oreilles et de lui répéter "trente-trois" en boucle. Quand j'avais les nerfs, souvent je partais en sucette. En cacahuètes, même. Il se redressa un grand sourire au lèvres, et retira ce qui lui bouchait les oreilles. Je pris soin de remettre mon t-shirt, cachant à nouveau ma poitrine aux yeux de la bête à fourrure, il ne fallait pas non plus lui donner des attaques à force de rôder autour de lui en petite tenue. Mes jambes se balançant dans le vide, depuis la table d'auscultation, je pris mes gants en cuirs pour les remettre un à un, et je passai la main dans mes cheveux en regardant Hank placer les petites fioles de sang devant diverses machines censées analyser ce précieux liquide rouge qui coulait dans mes veines.

« Alors docteur, rien de bizarre à l'horizon ? Je peux descendre de mon pidédestal et assister aux festivités ? » Une façon détournée de demander si j'avais le droit de regarder ce qu'il faisait, de rester avec lui, et d'être là pour les résultats, aussi vite que possible. Une douleur fugace se manifesta lentement à la tête, mais dés que j'eus compris que j'avais mal au crâne, elle disparut à nouveau. C'était agaçant.